| Titre : | Pratiques - Réflexions sur l'art N°13 | | Type de document : | texte imprimé | | Auteurs : | Roselyne MARSAUD PERRODIN, Directeur de publication, rédacteur en chef ; François PERRODIN, Directeur de publication, rédacteur en chef ; Lambert WIESING, Auteur ; Philippe BUSCHINGER, Auteur ; PENDERS, Anne-Françoise, Auteur ; ANDRÉE CHAUVIN-VILENO, Auteur ; GREEN, Renée, Auteur ; ZABUNYAN, Elvan, Auteur | | Editeur : | Rennes : Presses universitaires de Rennes | | Année de publication : | 2002 | | Importance : | 112 pages | | Présentation : | Ill. coul et N&B | | Format : | 24 cm | | ISBN/ISSN/EAN : | 978-2-86847-792-7 | | Prix : | 14 € | | Note générale : | La revue "PRATIQUES, Réflexions sur l'art" propose un recueil de documents destinés a mettre en evidence les enjeux des pratiques artistiques contemporaines, que ces enjeux relevent plus particulièrement du domaine du concept, de la forme plastique ou de la monstration.
Nous pensons en effet que cette articulation est aujourd'hui essentielle dans la mesure ou l'approche analytique, la concretisation et le "faire", la perception et la reception des oeuvres sont plus que jamais en interaction.
Cette approche en trois parties est developpee sous forme de dossiers monographiques ou thematiques dans les sections
"Theorie", "Pratique", et "Mediation",
qui definissent et structurent la revue.
"PRATIQUES" est soutenue par trois institutions en correspondance avec les axes de réflexions de la revue :
l'Ecole des beaux arts de Rennes,
le Laboratoire "Critique et Théorie" de l'Universite Rennes 2,
le Fonds Regional d'Art Contemporain de Bretagne.
Elle est éditée en collaboration avec les
Presses Universitaires de Rennes.
La parution de "PRATIQUES" est semestrielle. | | Langues : | Français (fre) | | Catégories : | Arts Beaux-Arts et arts décoratifs
| | Index. décimale : | 700.1 Philosophie et théorie des arts | | Résumé : |
ÉDITORIAL
Roselyne Marsaud Perrodin
Ce nouveau numéro poursuit des réflexions amorcées lors de nos précédentes publications : réflexion esthétique sur l’art, relations entre l’écriture et les arts plastiques, le « multiculturalisme » contemporain.
Nous avions traduit un texte de Lambert Wiesing sur la question de la photographie abstraite et concrète dont le questionnement méthodique et essentiel révélait un grande rigueur de pensée. Dans la partie Théorie, nous publions un autre essai de ce jeune philosophe allemand sur la question de « Comment penser l’objet, comment penser l’art ? » qui nous propose une façon particulière d’envisager la problématique de l’objet et de l’objet d’art en relation avec la phénoménologie. En effet, dans les débats de l’histoire de l’art, le point de vue phénoménologique est considéré plutôt comme conservateur. Cela vaut pour la question de l’art et non pas pour le domaine de l’image dans lequel les phénoménologues occupent une position dominante. Or, toutes les œuvres d’art ne sont pas des images et toutes les images ne sont pas des œuvres d’art, différence qui lui permet de poser la question suivante : qu’est-ce qui est, quand, et pourquoi, une œuvre d’art ? L’essai de Lambert Wiesing tente de voir pourquoi la phénoménologie a éprouvé tant de difficultés dans le débat sur la question de l’art. Le texte propose une première partie qui esquisse la genèse historique de l’état actuel de cette question, en abordant les limites d’une esthétique phénoménologique de l’œuvre, la définition fonctionnaliste de l’art, la question suivante « l’art doit-il remplir la fonction d’un signe ? » en s’appuyant sur les analyses de Goodman pour qui le statut de l’œuvre d’art n’est pas une propriété substantielle mais relève d’un mode fonctionnel, liée à l’idée que l’art a et doit avoir une valeur de signe. Dans la seconde partie, Wiesing rappelle les réponses développées par Sartre à la question « Quand y a-t-il art ? ». Réponses, qui de façon prémonitoire à ce que nous pouvons voir se développer dans l’art contemporain sont qu’il ne s’agit pas d’un mode fonctionnel ou sémiologique, mais de travailler à l’esthétique qui dépasse l’opposition entre matérialisme et idéalisme. L’auteur défend la thèse selon laquelle il y a une étroite parenté entre la phénoménologie et l’art en explicitant les problématiques de l’art et de sa présence matérielle, le statut d’une chose, l’art en tant que phénoménologie et la phénoménologie en tant qu’esthétique.
La question de l’écrit et des arts plastiques est un sujet vaste, que nous avons traité cette fois-ci dans la partie Pratique sous l’angle des écritures en abordant la typographie envisagée comme langue écrite, puis avec un sujet à partir des œuvres de l’écrivain Perec, et enfin par un essai sur les résonances mouvantes de l’écrit et du son. Ces textes ont été élaborés par des penseurs qui s’inscrivent aussi dans la pratique soit en tant qu’artiste soit en tant qu’intervenant auprès d’étudiants. Donc des points de vue théoriques qui sont en rencontre avec un faire concret. Les essais se proposent de montrer comment les différentes disciplines ouvrent des champs autres avec lesquels elles sont en dialogue et d’en analyser les processus.
Ainsi que le démontre Philippe Buschinger, spécialiste de la poésie concrète, le design verbal produit des images écrites et s’adresse à des récepteurs, qu’ils soient profanes ou initiés. Le texte s’intéresse donc particulièrement à l’écrit devenue image. Il propose une mise à plat du fonctionnement de l’écriture, des données de base de la typographie à sa spatialité, des multiples appréhensions de l’image écrite par les récepteurs, qui « valident telle micro-valeur et son sens plutôt qu’une autre ». Son essai sémiologique et sémantique rend compte de l’ambiguïté fondamentale d’une langue écrite qui s’ouvre, par le design verbal, à sa dimension plastique. Il révèle notamment par une analyse méthodique et concrète, le sujet le demande, comment la langue écrite active au-delà de la valeur graphique un sens qui se construit à la mesure des perceptions. Il semble plutôt urgent de réfléchir à la question de la typographie qui a agitée tant d’avant-gardes, des calligrammes d’Apollinaire aux travaux de Marinetti, de Kurt Schwitters et des recherches dadaïstes, ou encore menées au Bauhaus, jusqu’à la Neue Graphic suisse, et l’épigraphie urbaine dans laquelle nous évoluons. La typographie est un domaine mal connu des historiens et des critiques d’art et pourtant, nous avons vu fleurir un grand nombre d’éléments qui relèvent du domaine des typographies dans l’art moderne et contemporain, et il est bien temps de s’intéresser à ses signifiants.
On a beaucoup écrit à propos des œuvres de Perec, mais Andrée Chauvin-Vileno nous propose ici une autre voie de regard sur la portée de son écriture de l’espace. La matière romanesque perecquienne semble, en effet, volontiers fusionner avec une encyclopédie de la peinture ou un catalogue de musée imaginaire. Noms de peintres et mentions d’œuvres célèbres ou inconnues peuplent plusieurs récits majeurs. Les tableaux y procèdent toujours du trompe-l’œil en tant que générateurs d’histoires et pièges à intertextes. Mais la parole contrainte, c’est-à-dire créatrice, en sa poétique la plus exigeante, entre aussi en dialogue avec telles œuvres de plasticiens sur le mode d’une collaboration plus ou moins étroite. Entre ascèse et jouissance, les pratiques descriptives exaltent « l’œil d’abord » et traquent parfois l’impossible à dire. Aux confins du visible et du lisible, la lettre alors s’allie à l’icône « photaubiographique » ou cinématographique. Au-delà, ou plutôt en-deçà des points de contact privilégiés de Perec et des arts de la vue, c’est la spatialité habitée et travaillée de son écriture qui fonde essentiellement la rencontre qu’Andrée Chauvin-Vileno met en évidence.
Le texte d’Anne Françoise Penders, maintenant connue de nos lecteurs en tant qu’historienne mais aussi photographe et romancière, évoque avec « Surgir, dis-tu ? » l’émergence dans le champ des arts plastiques du littéraire, de l’écrit par l’artiste lui-même, et non pas des formes nombreuses d’intervention de l’écriture des autres ou de simples emprunts à la littérature dans une oeuvre. Anne Françoise Penders s’est intéressée à ce qui se fait aujourd’hui, tout près d’elle, de nous, en préférant le prospectif à l’exhaustif. Il s’agit d’entendre et de voir, d’écouter et d’observer. Comment le mot prononcé acquiert-il une autre dimension ? Comment les arts plastiques peuvent-ils servir de vecteur à quelque chose qui aurait pu (ou pas) être édité ? Comment on peut aussi faire le choix de mélanger les media. Comment, littéralement, un travail d’ordre plastique donne du volume à un mot, une phrase, un texte. Comment un montage sonore ou filmique, en s’échafaudant en tant qu’écriture, invente un espace particulier « à la marge du voir et de l’entendre », un espace parfois construit presque malgré lui par « contamination » de ses différentes composantes. Le mode d’écriture d’Anne Françoise Penders est souple, fluide, non analytique, en résonance avec la transdisciplinarité qu’elle aborde et pratique.
La Médiation aborde la question de la dispersion à partir de la Documenta 11 de Kassel, 2002, par l’expérience même de Renée Green, artiste afro-américaine et participante à l’exposition, et d’Elvan Zabunyan spécialiste de la question de la diaspora africaine. Visiter ne serait-ce que l’exposition de la Documenta 11, la cinquième plate-forme du travail gigantesque de déplacements de territoires menée par Okwui Enwezor et son équipe internationale de commissaires, a été de l’ordre de la performance même pour un spectateur averti (4 plate-formes dans 4 villes différentes et pour plate-forme 5, l’exposition, cinq lieux d’expositions à Kassel). L’accumulation et la juxtaposition des œuvres ont formé un énorme ensemble qui a donné, à beaucoup de visiteurs, le sentiment d’un manque d’articulation des problématiques et de visibilité de ce que l’on souhaitait justement mettre à jour. Manque, dans les publications données au public, des quelques ressorts essentiels de la démarche ; manque de respiration dans l’espace claustrophobique et labyrinthique à la limite du totalitaire du bâtiment de la Binding-Brauerei ; manque d’espace et de temps pour visionner dans des conditions correctes l’invraisemblable collection de films et de vidéos qui demandait à elle seule, ainsi que le remarque Elvan Zabunyan, une dizaine de jours. Dans ces conditions, la médiation a semble-t-il été particulièrement mal réfléchie alors qu’à Vienne (la première plate-forme) ce sont les processus même de production culturelle qui devaient être éclaircis et que la médiation de ces processus aurait pu être mieux menée. Comme le signale Renée Green les questions de fond ont été curieusement élidées, bien qu’abordées dans les thématiques, quand aux questions de mises en forme (catalogue) elles ont été décevantes. Il a semblé très clair que le paradoxe de vouloir montrer les travaux d’artistes qui ne vivent pas dans la triade États-Unis, Europe et Japon, à Kassel, centre stratégiquement situé, était particulièrement délicat à mener, et le résultat plutôt ambivalent quant à la gestion du concept de déplacer des territoires et le fait d’intégrer des artistes « exclus » dans un lieu de pouvoir culturel eurocentriste fortement américanisé. La question de la viabilité du « multiculturel » est posée, et le texte de Renée Green, qui commente un livre ouvrant sur cette question en 1991, a la pertinence de faire part des doutes de l’artiste quant à la gestion de l’intégration ou non intégration des marges dans le milieu de l’art et sa crainte du « multiculturel » comme catégorie confinante. La difficulté d’être avant tout considéré selon sa couleur de peau avant sa qualité d’artiste, ou même de commissaire ou critique, tout en affirmant sa différence, est une gageure complexe à vivre. Si le racisme du milieu de l’art est une question ancienne on entend encore des remarques de l’ordre de : « oui, mais Enwezor est Noir » ou « on ne va tout de même pas donner des royalties à des nègres ». Donc si la question des divisions entre marges et périphérie est typiquement américaine, celle du racisme est internationale, et celle de la précarité mondiale. Pour un grand nombre d’artistes, quelle que soit leur nationalité, les enjeux de vie et de reconnaissance du travail sont cruciaux, et les difficultés qu’ils rencontrent à exister dans le système actuel de l’art - qu’ils suivent ou non les stratégies de réussite que ce dernier leur indique, me semblent aujourd’hui assez proches de ceux que l’on regroupe sous le terme de minorités. Lorsque s’y ajoute une ségrégation raciale l’on imagine volontiers la détermination et le courage nécessaires pour se frayer un chemin gérable. Le premier texte de Renée Green, les notes qui traitent de son expérience de cette Documenta, montre la lucidité dont elle fait preuve. Quel artiste refuserait de participer à cette manifestation légendaire, surtout lorsque les problématiques abordées vous touchent directement et que l’on a activement, depuis toujours, participé aux enjeux proposés ? Combien d’artistes auraient-ils le courage de poser les questions franchement lors de publications à venir en prenant le risque d’être rayés de la liste des élus (provisoires) ? À mon avis, très peu. Traiter de la question de l’intégration des « minorités » agace particulièrement ceux qui pensent que cette question est rebattue, insoluble et inutile, qui n’ont pas suffisamment d’imagination pour penser une rencontre avec le monde, et qui sûrs de leur bon droit et de la qualité de leurs raisonnements bien ficelés estiment que ce propos ne produit qu’une autre forme d’exotisme. Penser les choses non plus en-soi mais en-jeu avec la globalité du monde, en prenant en compte le plus possible de données très problématiques est une tâche ambitieuse et complexe, mais qui est amorcée par divers modes de monstration. Certes, La Documenta 11, a révélé que trop de déplacements, de décontextualisations, produisent un excès de mouvance et de flottements malgré l’alibi de l’inabouti ; un état des lieux de l’instrumentalisation des œuvres au service d’un discours ; des difficultés de rencontres, de dialogues, ne serait-ce qu’avec les œuvres, mais elle reste malgré tout une tentative nécessaire dont le mérite essentiel a été de proposer un questionnement brûlant qui est à poursuivre sur les ethnocentrismes et la globalisation. | | Note de contenu : |
SOMMAIRE :
Éditorial - p. 2
THÉORIE : PENSER L'OBJET, PENSER L'ART
— Lambert Wiesing « La Phénoménologie et la question Quand y a-t’il art ? » - p. 8
1. Esthétique et avant-garde
* Les limites d'une esthétique phénoménologique de l'œuvre
* La définition fonctionnaliste de l'art
* L'art doit-il remplir la fonction d'un signe ?
2. La présence artificielle
* La réponse de Sartre à la question « Quand y a-t’il art ? »
* Une chose en tant qu'une chose ou Une chose pour une chose
* L'art en tant que phénoménologie - la phénoménologie en tant qu'esthétique
* Les boîtes de soupe et les chaussures de paysan
PRATIQUES : ÉCRITURES
— Philippe Buschinger « Pour un design verbal » - p. 32
— Anne-Françoise Penders « Surgir, dis-tu ? » - p. 52
— Andrée Chauvin-Vileno « Perec dans les règles de l’art : capture du regard et écriture de l’espace » - p. 62
MÉDIATION : DISPERSION ET DOCUMENTA
— Renée Green « Notes sur la Documenta 11 » - p. 76
« Négocier la marge » - p. 82
— Elvan Zabunyan « Déplacement de territoires : la Documenta 11 » - p. 91
Présentation des artistes et auteurs - p. 105
Abstracts in English - p. 106 | | En ligne : | http://pratiques.online.fr/Pages/Pag_Prat/P13/f_prat13.html |
Pratiques - Réflexions sur l'art N°13 [texte imprimé] / Roselyne MARSAUD PERRODIN, Directeur de publication, rédacteur en chef ; François PERRODIN, Directeur de publication, rédacteur en chef ; Lambert WIESING, Auteur ; Philippe BUSCHINGER, Auteur ; PENDERS, Anne-Françoise, Auteur ; ANDRÉE CHAUVIN-VILENO, Auteur ; GREEN, Renée, Auteur ; ZABUNYAN, Elvan, Auteur . - Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2002 . - 112 pages : Ill. coul et N&B ; 24 cm. ISBN : 978-2-86847-792-7 : 14 € La revue "PRATIQUES, Réflexions sur l'art" propose un recueil de documents destinés a mettre en evidence les enjeux des pratiques artistiques contemporaines, que ces enjeux relevent plus particulièrement du domaine du concept, de la forme plastique ou de la monstration.
Nous pensons en effet que cette articulation est aujourd'hui essentielle dans la mesure ou l'approche analytique, la concretisation et le "faire", la perception et la reception des oeuvres sont plus que jamais en interaction.
Cette approche en trois parties est developpee sous forme de dossiers monographiques ou thematiques dans les sections
"Theorie", "Pratique", et "Mediation",
qui definissent et structurent la revue.
"PRATIQUES" est soutenue par trois institutions en correspondance avec les axes de réflexions de la revue :
l'Ecole des beaux arts de Rennes,
le Laboratoire "Critique et Théorie" de l'Universite Rennes 2,
le Fonds Regional d'Art Contemporain de Bretagne.
Elle est éditée en collaboration avec les
Presses Universitaires de Rennes.
La parution de "PRATIQUES" est semestrielle. Langues : Français ( fre) | Catégories : | Arts Beaux-Arts et arts décoratifs
| | Index. décimale : | 700.1 Philosophie et théorie des arts | | Résumé : |
ÉDITORIAL
Roselyne Marsaud Perrodin
Ce nouveau numéro poursuit des réflexions amorcées lors de nos précédentes publications : réflexion esthétique sur l’art, relations entre l’écriture et les arts plastiques, le « multiculturalisme » contemporain.
Nous avions traduit un texte de Lambert Wiesing sur la question de la photographie abstraite et concrète dont le questionnement méthodique et essentiel révélait un grande rigueur de pensée. Dans la partie Théorie, nous publions un autre essai de ce jeune philosophe allemand sur la question de « Comment penser l’objet, comment penser l’art ? » qui nous propose une façon particulière d’envisager la problématique de l’objet et de l’objet d’art en relation avec la phénoménologie. En effet, dans les débats de l’histoire de l’art, le point de vue phénoménologique est considéré plutôt comme conservateur. Cela vaut pour la question de l’art et non pas pour le domaine de l’image dans lequel les phénoménologues occupent une position dominante. Or, toutes les œuvres d’art ne sont pas des images et toutes les images ne sont pas des œuvres d’art, différence qui lui permet de poser la question suivante : qu’est-ce qui est, quand, et pourquoi, une œuvre d’art ? L’essai de Lambert Wiesing tente de voir pourquoi la phénoménologie a éprouvé tant de difficultés dans le débat sur la question de l’art. Le texte propose une première partie qui esquisse la genèse historique de l’état actuel de cette question, en abordant les limites d’une esthétique phénoménologique de l’œuvre, la définition fonctionnaliste de l’art, la question suivante « l’art doit-il remplir la fonction d’un signe ? » en s’appuyant sur les analyses de Goodman pour qui le statut de l’œuvre d’art n’est pas une propriété substantielle mais relève d’un mode fonctionnel, liée à l’idée que l’art a et doit avoir une valeur de signe. Dans la seconde partie, Wiesing rappelle les réponses développées par Sartre à la question « Quand y a-t-il art ? ». Réponses, qui de façon prémonitoire à ce que nous pouvons voir se développer dans l’art contemporain sont qu’il ne s’agit pas d’un mode fonctionnel ou sémiologique, mais de travailler à l’esthétique qui dépasse l’opposition entre matérialisme et idéalisme. L’auteur défend la thèse selon laquelle il y a une étroite parenté entre la phénoménologie et l’art en explicitant les problématiques de l’art et de sa présence matérielle, le statut d’une chose, l’art en tant que phénoménologie et la phénoménologie en tant qu’esthétique.
La question de l’écrit et des arts plastiques est un sujet vaste, que nous avons traité cette fois-ci dans la partie Pratique sous l’angle des écritures en abordant la typographie envisagée comme langue écrite, puis avec un sujet à partir des œuvres de l’écrivain Perec, et enfin par un essai sur les résonances mouvantes de l’écrit et du son. Ces textes ont été élaborés par des penseurs qui s’inscrivent aussi dans la pratique soit en tant qu’artiste soit en tant qu’intervenant auprès d’étudiants. Donc des points de vue théoriques qui sont en rencontre avec un faire concret. Les essais se proposent de montrer comment les différentes disciplines ouvrent des champs autres avec lesquels elles sont en dialogue et d’en analyser les processus.
Ainsi que le démontre Philippe Buschinger, spécialiste de la poésie concrète, le design verbal produit des images écrites et s’adresse à des récepteurs, qu’ils soient profanes ou initiés. Le texte s’intéresse donc particulièrement à l’écrit devenue image. Il propose une mise à plat du fonctionnement de l’écriture, des données de base de la typographie à sa spatialité, des multiples appréhensions de l’image écrite par les récepteurs, qui « valident telle micro-valeur et son sens plutôt qu’une autre ». Son essai sémiologique et sémantique rend compte de l’ambiguïté fondamentale d’une langue écrite qui s’ouvre, par le design verbal, à sa dimension plastique. Il révèle notamment par une analyse méthodique et concrète, le sujet le demande, comment la langue écrite active au-delà de la valeur graphique un sens qui se construit à la mesure des perceptions. Il semble plutôt urgent de réfléchir à la question de la typographie qui a agitée tant d’avant-gardes, des calligrammes d’Apollinaire aux travaux de Marinetti, de Kurt Schwitters et des recherches dadaïstes, ou encore menées au Bauhaus, jusqu’à la Neue Graphic suisse, et l’épigraphie urbaine dans laquelle nous évoluons. La typographie est un domaine mal connu des historiens et des critiques d’art et pourtant, nous avons vu fleurir un grand nombre d’éléments qui relèvent du domaine des typographies dans l’art moderne et contemporain, et il est bien temps de s’intéresser à ses signifiants.
On a beaucoup écrit à propos des œuvres de Perec, mais Andrée Chauvin-Vileno nous propose ici une autre voie de regard sur la portée de son écriture de l’espace. La matière romanesque perecquienne semble, en effet, volontiers fusionner avec une encyclopédie de la peinture ou un catalogue de musée imaginaire. Noms de peintres et mentions d’œuvres célèbres ou inconnues peuplent plusieurs récits majeurs. Les tableaux y procèdent toujours du trompe-l’œil en tant que générateurs d’histoires et pièges à intertextes. Mais la parole contrainte, c’est-à-dire créatrice, en sa poétique la plus exigeante, entre aussi en dialogue avec telles œuvres de plasticiens sur le mode d’une collaboration plus ou moins étroite. Entre ascèse et jouissance, les pratiques descriptives exaltent « l’œil d’abord » et traquent parfois l’impossible à dire. Aux confins du visible et du lisible, la lettre alors s’allie à l’icône « photaubiographique » ou cinématographique. Au-delà, ou plutôt en-deçà des points de contact privilégiés de Perec et des arts de la vue, c’est la spatialité habitée et travaillée de son écriture qui fonde essentiellement la rencontre qu’Andrée Chauvin-Vileno met en évidence.
Le texte d’Anne Françoise Penders, maintenant connue de nos lecteurs en tant qu’historienne mais aussi photographe et romancière, évoque avec « Surgir, dis-tu ? » l’émergence dans le champ des arts plastiques du littéraire, de l’écrit par l’artiste lui-même, et non pas des formes nombreuses d’intervention de l’écriture des autres ou de simples emprunts à la littérature dans une oeuvre. Anne Françoise Penders s’est intéressée à ce qui se fait aujourd’hui, tout près d’elle, de nous, en préférant le prospectif à l’exhaustif. Il s’agit d’entendre et de voir, d’écouter et d’observer. Comment le mot prononcé acquiert-il une autre dimension ? Comment les arts plastiques peuvent-ils servir de vecteur à quelque chose qui aurait pu (ou pas) être édité ? Comment on peut aussi faire le choix de mélanger les media. Comment, littéralement, un travail d’ordre plastique donne du volume à un mot, une phrase, un texte. Comment un montage sonore ou filmique, en s’échafaudant en tant qu’écriture, invente un espace particulier « à la marge du voir et de l’entendre », un espace parfois construit presque malgré lui par « contamination » de ses différentes composantes. Le mode d’écriture d’Anne Françoise Penders est souple, fluide, non analytique, en résonance avec la transdisciplinarité qu’elle aborde et pratique.
La Médiation aborde la question de la dispersion à partir de la Documenta 11 de Kassel, 2002, par l’expérience même de Renée Green, artiste afro-américaine et participante à l’exposition, et d’Elvan Zabunyan spécialiste de la question de la diaspora africaine. Visiter ne serait-ce que l’exposition de la Documenta 11, la cinquième plate-forme du travail gigantesque de déplacements de territoires menée par Okwui Enwezor et son équipe internationale de commissaires, a été de l’ordre de la performance même pour un spectateur averti (4 plate-formes dans 4 villes différentes et pour plate-forme 5, l’exposition, cinq lieux d’expositions à Kassel). L’accumulation et la juxtaposition des œuvres ont formé un énorme ensemble qui a donné, à beaucoup de visiteurs, le sentiment d’un manque d’articulation des problématiques et de visibilité de ce que l’on souhaitait justement mettre à jour. Manque, dans les publications données au public, des quelques ressorts essentiels de la démarche ; manque de respiration dans l’espace claustrophobique et labyrinthique à la limite du totalitaire du bâtiment de la Binding-Brauerei ; manque d’espace et de temps pour visionner dans des conditions correctes l’invraisemblable collection de films et de vidéos qui demandait à elle seule, ainsi que le remarque Elvan Zabunyan, une dizaine de jours. Dans ces conditions, la médiation a semble-t-il été particulièrement mal réfléchie alors qu’à Vienne (la première plate-forme) ce sont les processus même de production culturelle qui devaient être éclaircis et que la médiation de ces processus aurait pu être mieux menée. Comme le signale Renée Green les questions de fond ont été curieusement élidées, bien qu’abordées dans les thématiques, quand aux questions de mises en forme (catalogue) elles ont été décevantes. Il a semblé très clair que le paradoxe de vouloir montrer les travaux d’artistes qui ne vivent pas dans la triade États-Unis, Europe et Japon, à Kassel, centre stratégiquement situé, était particulièrement délicat à mener, et le résultat plutôt ambivalent quant à la gestion du concept de déplacer des territoires et le fait d’intégrer des artistes « exclus » dans un lieu de pouvoir culturel eurocentriste fortement américanisé. La question de la viabilité du « multiculturel » est posée, et le texte de Renée Green, qui commente un livre ouvrant sur cette question en 1991, a la pertinence de faire part des doutes de l’artiste quant à la gestion de l’intégration ou non intégration des marges dans le milieu de l’art et sa crainte du « multiculturel » comme catégorie confinante. La difficulté d’être avant tout considéré selon sa couleur de peau avant sa qualité d’artiste, ou même de commissaire ou critique, tout en affirmant sa différence, est une gageure complexe à vivre. Si le racisme du milieu de l’art est une question ancienne on entend encore des remarques de l’ordre de : « oui, mais Enwezor est Noir » ou « on ne va tout de même pas donner des royalties à des nègres ». Donc si la question des divisions entre marges et périphérie est typiquement américaine, celle du racisme est internationale, et celle de la précarité mondiale. Pour un grand nombre d’artistes, quelle que soit leur nationalité, les enjeux de vie et de reconnaissance du travail sont cruciaux, et les difficultés qu’ils rencontrent à exister dans le système actuel de l’art - qu’ils suivent ou non les stratégies de réussite que ce dernier leur indique, me semblent aujourd’hui assez proches de ceux que l’on regroupe sous le terme de minorités. Lorsque s’y ajoute une ségrégation raciale l’on imagine volontiers la détermination et le courage nécessaires pour se frayer un chemin gérable. Le premier texte de Renée Green, les notes qui traitent de son expérience de cette Documenta, montre la lucidité dont elle fait preuve. Quel artiste refuserait de participer à cette manifestation légendaire, surtout lorsque les problématiques abordées vous touchent directement et que l’on a activement, depuis toujours, participé aux enjeux proposés ? Combien d’artistes auraient-ils le courage de poser les questions franchement lors de publications à venir en prenant le risque d’être rayés de la liste des élus (provisoires) ? À mon avis, très peu. Traiter de la question de l’intégration des « minorités » agace particulièrement ceux qui pensent que cette question est rebattue, insoluble et inutile, qui n’ont pas suffisamment d’imagination pour penser une rencontre avec le monde, et qui sûrs de leur bon droit et de la qualité de leurs raisonnements bien ficelés estiment que ce propos ne produit qu’une autre forme d’exotisme. Penser les choses non plus en-soi mais en-jeu avec la globalité du monde, en prenant en compte le plus possible de données très problématiques est une tâche ambitieuse et complexe, mais qui est amorcée par divers modes de monstration. Certes, La Documenta 11, a révélé que trop de déplacements, de décontextualisations, produisent un excès de mouvance et de flottements malgré l’alibi de l’inabouti ; un état des lieux de l’instrumentalisation des œuvres au service d’un discours ; des difficultés de rencontres, de dialogues, ne serait-ce qu’avec les œuvres, mais elle reste malgré tout une tentative nécessaire dont le mérite essentiel a été de proposer un questionnement brûlant qui est à poursuivre sur les ethnocentrismes et la globalisation. | | Note de contenu : |
SOMMAIRE :
Éditorial - p. 2
THÉORIE : PENSER L'OBJET, PENSER L'ART
— Lambert Wiesing « La Phénoménologie et la question Quand y a-t’il art ? » - p. 8
1. Esthétique et avant-garde
* Les limites d'une esthétique phénoménologique de l'œuvre
* La définition fonctionnaliste de l'art
* L'art doit-il remplir la fonction d'un signe ?
2. La présence artificielle
* La réponse de Sartre à la question « Quand y a-t’il art ? »
* Une chose en tant qu'une chose ou Une chose pour une chose
* L'art en tant que phénoménologie - la phénoménologie en tant qu'esthétique
* Les boîtes de soupe et les chaussures de paysan
PRATIQUES : ÉCRITURES
— Philippe Buschinger « Pour un design verbal » - p. 32
— Anne-Françoise Penders « Surgir, dis-tu ? » - p. 52
— Andrée Chauvin-Vileno « Perec dans les règles de l’art : capture du regard et écriture de l’espace » - p. 62
MÉDIATION : DISPERSION ET DOCUMENTA
— Renée Green « Notes sur la Documenta 11 » - p. 76
« Négocier la marge » - p. 82
— Elvan Zabunyan « Déplacement de territoires : la Documenta 11 » - p. 91
Présentation des artistes et auteurs - p. 105
Abstracts in English - p. 106 | | En ligne : | http://pratiques.online.fr/Pages/Pag_Prat/P13/f_prat13.html |
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