CCI Fantasie. (Re)Copier. (Re)Produire. (Re)Construire.

Qu’est-ce qu’un objet ? Comment le conçoit-on ? Comment le produit-on ? Produire est-ce reproduire ? Reproduire est-ce copier ? Sont autant de questions précédant l’élaboration des objets présentés dans cette exposition, et qui ont tous été conçus par les étudiant·e·s du second cycle de l’Esac de Cambrai, accompagné·e·s par Olivier Lebrun et Karl Nawrot à l’automne 2020.
Pour tenter de saisir les strates de cette exposition, il est nécessaire de revenir sur les processus de création de ces objets et de leur monstration qui reposent tous deux sur le passage d’une copie à une (re)production artistique.

La fiction de l’écrivain Philip K. Dick, « Payez l’imprimeur ! » (1956), présentée ici sur des mugs, a fait l’objet de plusieurs étapes de reproduction. À l’image des copistes, les étudiant·e·s se sont évertué·e·s, en premier lieu, à en copier un extrait en proposant chacun·e une méthode de transcription singulière. Photographiées puis imprimées, ces différentes copies non conformes, imparfaites et fragmentaires, proposent une autre lecture de ce texte en faisant directement écho à son contenu dirigé contre les limites de la reproduction.
En utilisant comme support au texte un objet iconique de la société de consommation, le mug, symbole d’une certaine mort du design, les étudiant·e·s, mettent en évidence la critique de l’industrialisation de masse énoncé par K. Dick (et détournent par là même l’objet mug de sa fonction initiale).
Des dessins au trait d’objets du designer Wilhelm Wagenfeld ont, d’autre part, été réinterprétés en deux et trois dimensions. Les sculptures et les dessins proposent, par le biais de la copie, de l’hybridation et de la reproduction, de mettre en lumière les processus de création. Car bien avant d’être perçu par le spectateur·trice/visiteur·euse, l’objet aura été copié, déformé, reconfiguré pour être produit puis reproduit. Les objets issus de ces différentes étapes interrogent notre manière d’appréhender l’œuvre en tant que résultat final, et proposent de se concentrer davantage sur les actes et les gestes qui l’ont engendré.

La complexité entre les différentes étapes mises en œuvre et les jeux d’échelle opérés avec les objets produisent une confusion entre ce qui relève de la copie, de la reproduction ou de la création. L’exposition, qui présente une trace de ces étapes, participe pleinement à renforcer ce trouble en proposant une nouvelle phase dans la reproduction de ces objets (modélisation en 3D), et une réplique numérique de l’espace où elle prend place (la salle d’exposition de l’Esac). Son mode de présentation par « strates », qui s’appuie, dans la multiplication de ces étages en sous-sol, sur la fiction d’Albert Meister, La soi-disant utopie du centre Beaubourg, intensifie l’effet d’une perte de repères. Proche d’un contexte duchampien, le visiteur est alors libre d’interpréter ce qui relève selon lui de la copie, de la reproduction ou de la création.

Cette exposition participe de la volonté de (re)construire une histoire, celle du Centre de Création Industrielle (CCI), à partir de « scénarios » pensés comme des « épisodes » qui réactivent certaines des thématiques présentées au CCI, et dont l’actualité, même si déplacée, est toujours vive.

C’est par le biais de la narration et de la fiction qu’il est évoqué dans les divers épisodes du projet CCI Fantasie, et non pas dans une démarche historienne, même si certains projets s’appuient sur des sources ou des faits historiques qui lui sont relatifs. Il ne s’agit en effet pas d’écrire l’histoire de ce lieu, mais bien à partir de certains des thèmes qu’il a traité au cours de ses deux décennies d’existence (1969-1992), d’en proposer un récit, qu’il soit fantasmé, extrapolé, et/ou projeté dans l’actualité.
Les projets présentés ici forment la première partie de l’épisode 1 et réactivent un des sujets principaux du CCI – la consommation des objets, leur (re)production et leur (re)présentation – sous la forme d’une exposition virtuelle, fantasme d’un mode de présentation dont aurait pu s’emparer le CCI.

 


1 Olivier Lebrun est graphiste et enseignant à l’Ensba de Lyon.
www.olivierlebrun.fr/
2 Karl Nawrot est graphiste et intervient régulièrement dans différentes écoles d’art (Gerrit Rietveld Academie, Université de Séoul, Ensba Lyon, Ecal, Head, HfG Karlsruhe).
www.phantomavantgarde.com
3 Philip K. Dick, « Payez l’imprimeur ! » dans La Planète impossible, Paris : Presses Pocket, 1979, p. 38-63. Cette fiction a été initialement publiée sous le titre Pay for the printer en octobre 1956 dans la revue américaine Satellite science fiction, vol. 1/1. Ce texte est consultable dans l’exposition.
4 Le terme copiste fait ici référence tout aussi bien aux copistes du Moyen ge chargés de copier textes et enluminures, qu’aux copistes d’œuvres d’art aujourd’hui, qu’aux copistes chargés dans une imprimerie, avant le développement dans les années 1990 du Computer-to-plate (CTP), de préparer la forme imprimante.
5 Du Bauhaus à l’industrie. Wilhelm Wagenfeld, cat. exp., Paris, Centre de création industrielle, 1976. Ce catalogue est consultable dans l’exposition.
6 À ce propos, voir les recherches sur la culture matérielle des œuvres et en particulier Francesca Cozzolino, Thomas Golsenne (dir.), Images re-vues, hors-série n° 7, « Par-delà art et artisanat. Approches processuelles et matérielles de la création », 2019.
7 Nous renvoyons ici à l’ouvrage de Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris : Allia, 2011 (1955).
Il est à noter toutefois que dans le cadre de ce projet, contrairement à la thèse développée par Benjamin, la reproduction est ici utilisée comme un mode de production et de création à part entière qui ne désincarne pas l’œuvre mais lui permet de s’incarner en une nouvelle œuvre.
8 Albert Meister, La soi-disant utopie du centre Beaubourg, Paris : Burozoïques éditions, 2010.
Cette fiction a initialement été publiée en 1976 sous le nom de Gustave Affeulpin.
9 Le CCI a été inauguré le 24 octobre 1969 et créé sous l’égide de l’Union centrale des arts décoratifs (Ucad) par François Mathey, François Barré avec l’aide de Yolande Amic et Yvonne Brunhammer. Il rejoint, dès 1973, l’Établissement Public du Centre Beaubourg (EPCB). Il était l’un des départements autonomes du Centre Pompidou jusqu’à sa fusion avec le Musée national d’art moderne (Mnam) en 1992. À ce sujet, voir les ressources disponibles dans l’exposition.
10 Le CCI est largement oublié dans les récits historiques du Centre Pompidou. Il n’a par ailleurs jamais fait l’objet d’une recherche ou d’écrits monographiques. Plusieurs initiatives sont menées actuellement dans ce sens par Claire Brunet, Catherine Geel, Clémence Imbert et Caroll Maréchal.
11 À sa création en 1969, la mission du CCI était de fournir à ses visiteurs, les éléments leur permettant une consommation éclairée. Il souhaitait également mettre en contact les industriels et commanditaires avec les designers et graphistes, tout en valorisant ces domaines de la création par le biais d’expositions. Plus tard, la théorisation de sujets liés à ces domaines, avec la revue Traverses, faisait un lien avec un autre champ, celui des sciences sociales, porté par des figures comme Jean Baudrillard et Louis Marin (parmi les fondateurs de la revue) ou Abraham Moles et Jean-François Lyotard. Au fil des années 1970, et en particulier à partir des années 1980, la mission d’une consommation éclairée a peu à peu disparu, pour laisser place à la critique du postmodernisme et à une certaine « muséification » du design (et des communications visuelles dans une moindre mesure), prémices de la fusion entre le Mnam et le CCI en 1992, et de sa représentation au sein du Centre Pompidou par la suite.
12 Le CCI a présenté de nombreuses expositions aux scénographies novatrices et ambitieuses, ainsi que de multiples expositions itinérantes. Il a également hébergé, de 1979 à 1983, l’Atelier de Recherche en Techniques Avancées (ARTA) et s’est intéressé à de nombreuses reprises aux nouvelles technologies. Il paraît donc envisageable que le CCI, en tant que département autonome du Centre Pompidou, ce serait saisi des questionnements liés au numérique, et notamment ceux concernant les expositions virtuelles.